YouTube a-t-il le droit de bloquer votre bloqueur de pubs ?


La plateforme de vidéos a-t-elle le droit de détecter si vous utilisez un bloqueur de publicité ? Ne doit-elle pas pour ce faire obtenir votre consentement, que vous pourriez refuser de donner ? Nous avons demandé à des experts si YouTube était en droit de bloquer juridiquement votre bloqueur de publicité.

Depuis plusieurs jours, impossible d’utiliser un bloqueur de publicité sur YouTube sans être invité à le désactiver, à moins de payer un abonnement Premium à 12,99 €⁠ par mois. Est-ce légal ? Cette semaine, nous vous avons expliqué comment Alexander Hanff, un expert connu pour défendre depuis des années la vie privée en ligne, a déposé plainte devant la CNIL irlandaise pour ce qu’il estime être une violation du droit européen. Nous avons voulu en savoir plus.

Pour détecter si vous utilisez ou non une extension de blocage de publicité, YouTube exécute un script qui a été installé sur votre navigateur. La plateforme a-t-elle le droit d’installer ce script (et de l’exécuter), sans vous demander votre avis, et sans obtenir votre consentement ? C’est la question que devra trancher l’autorité irlandaise. Mais selon des experts que a pu interroger, des éléments de réponse peuvent d’ores et déjà être apportés.

Le détecteur d’Adblock est-il un traceur ?

En Europe, il existe bien un droit sur les cookies ou sur les traceurs. Et les choses sont claires, explique Mathilde Croze, avocate associée au cabinet Lerins, spécialisée en droit des données et des nouvelles technologies. « À chaque fois qu’il y a des traitements de données collectées par des outils installés sur vos ordinateurs, il faut un consentement. Ces dispositions du droit communautaire (européen, NDLR) ont été reprises dans le droit français, au sein de l’article 82 de la loi Informatique et Libertés », souligne-t-elle.

Si on schématise, à partir du moment où une société veut accéder à des informations déjà stockées sur un terminal utilisateur (comme le navigateur d’un ordinateur ou un smartphone), elle doit obtenir une approbation de l’internaute. Ce dernier va ensuite choisir de donner ou pas son consentement. Et comme souvent en droit, cette règle souffre d’exceptions, car dans certains cas, la plateforme pourra se passer du consentement de l’utilisateur. Tout dépend de la nature du traceur en cause

Il en existe plusieurs grandes catégories que la loi a définies, comme :

  • les traceurs de nature technique, c’est-à-dire ceux qui vont permettre le bon accès à tel ou tel contenu numérique, ou qui sont liés à l’usage d’un service, que ce soit un site web ou une application mobile. Ce sont par exemple les traceurs qui vous permettent de savoir quelle est la langue que vous utilisez, ou les cookies de session qui se souviennent de vos identifiants. Ce sont encore ceux qui permettent de garder en mémoire le contenu d’un panier, lorsque vous êtes sur un site marchand.
  • Les traceurs de mesure d’audience vont permettre de mesurer la navigation des internautes sur tel site Web.
  • Les traceurs de publicité visent à cibler un internaute, lui permettant de savoir où ce dernier est allé, ce qu’il a visité comme sites Web, ce qu’il a recherché. En fonction de ces éléments, la plateforme lui proposera de la publicité ciblée.

Le script de détection de YouTube entre-t-il dans l’une de ces catégories ? La réponse est positive pour Alexander Hanff, l’expert à l’origine de la plainte déposée en Irlande, le pays où la maison mère de YouTube, Alphabet, a son siège social. La plateforme sait bien si l’internaute a activé ou non un bloqueur de pub. Il s’agirait donc bien d’un traceur. Mais de quel type ?

Le détecteur de bloqueur de pub est-il un traceur qui permet l’analyse comportementale de l’internaute ?

Le fait de tomber dans telle ou telle catégorie des traceurs a ici son importance, car le consentement est généralement requis… sauf pour la première catégorie, ce qu’on appelle les traceurs techniques qui permettent un bon fonctionnement du site. On estime que ces traceurs n’ont pas besoin de votre approbation si ces derniers sont indispensables au service en question. Est-ce le cas pour YouTube et son script de détection ?

Les cours de justice ou les autorités de contrôle trancheront. Elles feront face à deux options. « Soit on a une vision très protectrice des internautes, et on se dit : non, ce détecteur de bloqueur de publicité n’est pas nécessaire et essentiel à YouTube, donc il faut obtenir le consentement de l’internaute », décrypte Eric Barbry, avocat associé du cabinet Racine, spécialisé dans le droit des nouvelles technologies. Si l’utilisateur refuse de le donner, il pourrait en théorie continuer à utiliser les bloqueurs de publicité. « Soit on se dit que l’approbation ne doit être demandée que lorsque c’est intrusif », ce qui ne serait pas le cas ici – donc, exit le consentement. YouTube pourrait dans une telle situation utiliser des détecteurs de bloqueurs de pub sans avoir besoin de vous demander la permission, comme l’entreprise le fait aujourd’hui.

L’idée derrière ces règles est qu’il doit y avoir un consentement, à partir du moment où l’on est intrusif. Comme lorsque l’on fait une analyse comportementale de l’individu qui permet d’avoir un profil acheteur ou utilisateur. Or, lorsque YouTube met en place ce type d’outils de détection, fait-elle de l’analyse comportementale de l’internaute ? Est-elle particulièrement intrusive ? Si la réponse est oui, le consentement est nécessaire. Il suffirait donc de ne pas consentir pour pouvoir continuer à utiliser votre bloqueur de publicité. Si la réponse est non, il y a débat. Et une fois qu’on l’aura tranché, « la question d’après sera de savoir si cette publicité est nécessaire à la survie économique d’un modèle « gratuit » pour les utilisateurs » analyse Eric Barbry.

Car la logique de YouTube est la même que celle adoptée par de nombreux acteurs comme Meta avec Facebook et Instagram dernièrement. En substance, ces plateformes disent : mon service était jusqu’à présent gratuit. Mais si vous voulez continuer à bénéficier de ce service, soit vous acceptez de payer un abonnement, soit vous acceptez d’être le produit – donc, que la plateforme se serve de vos données, ou que vous acceptez de visionner de la publicité. « La télévision et la radio permettent aussi un accès gratuit à un contenu qui est payé par la publicité. Et là, il n’y a pas de bloqueur de pub », rappelle Eric Barbry.

C’est cette même logique qui a été adoptée il y a plusieurs mois par Webedia et que la CNIL n’a pas retoquée, rapporte Mathilde Croze. Si vous allez sur les sites de ce groupe comme Allociné.fr, l’internaute peut soit accepter les cookies, soit payer quelques euros. Donc soit j’accepte d’être le produit, soit je paie. Meta vient de faire de même, en imposant l’alternative publicité ciblée ou abonnement. La fin des bloqueurs de publicité s’inscrirait dans ce vaste mouvement vers la généralisation des services numériques payants… Ou du moins, la fin de l’ère des services numériques proposés « gratuitement »… Même si, bien souvent, l’offre de service n’était pas réellement gratuite, puisqu’elle consistait à utiliser vos données à des fins publicitaires.

À lire aussi : Meta va demander le consentement des utilisateurs pour des publicités ciblées. Merci la Norvège !



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